1873 - L'oxygénothérapie



Carl Wilhelm Scheele

L'oxygène, en dehors du fait qu'il est présent à hauteur de 20% dans l'air ambiant, a une deuxième caractéristique inconnue du grand public : il sort spontanément sans aucune intervention humaine de petits orifices astucieusement placés par mère nature au dessus des têtes de lits des patients hospitalisés. Tout médecin sait qu'il existe des sources magiques dans les murs, et que les gaziers, en raison de leurs nombreuses années d'études, sont capables de générer des sources magiques portables. En fait certains spécialistes pensent que cet oxygène vient de quelque part, et plus particulièrement de grosses réserves situées dans les sous-sols des hôpitaux, mais comme aucun médecin n'y a jamais mis les pieds, cela semble être une légende urbaine.

Cependant, en 1873, il était impossible de passer à côté des machines permettant la synthèse et inhalation de l'O2 (il état par contre tout à fait possible de passer à coté de l’intérêt que ce gaz pouvait avoir en médecine comme vous allez le voir).





Petit rappel. Entre 280 et 220 avant notre ère, Philon de Byzance vivait à... Alexandrie. Entre l'invention du premier mécanisme d'échappement permettant d'alimenter une fontaine, du premier gyroscope pour lui permettre de toujours tenir ses pots d'encres à la verticale, et de la première arbalète à répétition, il s'amusa à faire brûler une bougie dans un pot retourné plongé dans l'eau. Oh surprise, au cours de la combustion l'eau montait dans le récipient, prouvant de façon incontestable que le feu transformait l'air en...feu.

Au cours des 2000 ans suivant il ne se passa presque rien. Dans les années 1750 il était admis que toutes les substances inflammables (tout ce qui brûle) contiennent deux choses : ce qui va rester après la combustion, et du phlogiston, une chose inodore, incolore, invisible mais avec une masse. Ainsi, quand on brûle du bois, il reste du charbon parce que le phlogiston s'est envolé dans les flammes. Le charbon est plus léger que le bois et de volume moindre, la masse et le volume manquant étant ceux du phlogiston. Et si vous brûlez de l’hydrogène, il ne reste rien, ce qui prouve que l'hydrogène est presque du phlogiston pur (si cette théorise vous semble stupide, je vous invite à lire ce que les revues de vulgarisation scientifique de 2015 appellent matière noire de l'univers).

En 1774, un des partisans de cette théorie, Joseph Priestley (inventeur de l'eau gazeuse et contributeur involontaire à la création du Schweppes par Schweppe qui lui "emprunte" la recette"), isole un gaz résiduel après avoir concentré les rayons du soleil sur de l'oxyde de mercure. Ce gaz, qu'il essaie sur lui-même est : "cinq à six fois meilleur que l'air ordinaire pour la respiration et l'inflammation". Et puisque ce gaz est très inflammable il le nomme :"air dephlogistifié" puisque (et c'est là que vous allez voir que la logique de XVIIIe était différente de la nôtre) : "si un air qui s’échappe de quelque chose qui à brûle est riche en phlogiston, un air qui permet à un objet de brûler n'en contient pas du tout et est donc dephlogisitifié".... Passons.

Et puis le 26 Août 1743 naquit à Paris celui qui allait changer tout cela avant qu'on ne le guillotine cinquante et un an plus tard en lui disant que :"La République n'a pas besoin de savant ni de chimistes". Lavoisier, par des expériences un peu trop complexes à résumer, prouve qu'il existe naturellement dans l'air de l'air dephlogisitifié, que cet air est indispensable à la combustion et que cet air corrode les métaux comme l'acide. Il le nomme oxy (acide) gène.

Mais tout ça n'est rien par rapport à la suite : il prouve que la réaction entre l'air inflammable  (l’hydrogène) et oxygène, produit... de l'eau. Et là, figurez-vous que les premiers savants qui ont vu un peu de rosée sur les parois d'un verre après avoir mélangé d'hydrogène et de l'oxygène ont eu la même réaction que vous si vous vous aperceviez que MATRIX n'est pas un film mais la réalité. Pourquoi ? Parce que depuis 2500 ans ils avaient tous appris qu'il existait quatre éléments fondamentaux : l'eau, l'air, le feu et la terre. Pouvoir synthétiser de l'eau revenait à dire qu’Aristote avait tort et que toute la science acquise jusque-là pouvait être balancée à la poubelle. Lavoisier prouve aussi que dans l'air que nous respirons, il y'a l'air vital qui permet la vie et la combustion, et un autre air, qui ne permet ni l'un ni l’autre. Ce deuxième air, il le nomme "sans vie" en grec, ou Azote en français.

Accélérons un peu le temps.
Et on arrive en 1850 où on trouve les premières traces françaises de compréhension du rôle de l'oxygène avec Duroy qui publie un article dans les annales medico-psychologiques sur :"l'emploi de l’oxygène contre les accidents du chloroforme et les asphyxies". 

La suite de l'utilisation de l’oxygène est passionnante, mais ça sera peut-être l’objet d'un autre billet. Les plus impatients pourront trouver leur bonheur ici : http://www2.biusante.parisdescartes.fr/livanc/index.las?dico=perio&cote=&chapitre=oxyg%C3%A8ne%0D%0A

Mais pour ce qui concerne ce billet : l'oxygénothérapie en 1873, il faut savoir que le principal mérite reconnu à ce gaz était d’être un adjuvant aux propriétés curatives des eaux gazeuses (comme quoi on n'avait pas fait de progrès majeurs depuis le Schweppes inventé 90 ans plus tôt). Les sources d’oxygènes étaient donc installées dans les stations thermales comme Vichy, Arcachon ou Pougues (si vous savez pas où c'est c'est normal, j'ai du chercher sur Wikipedia). Et pour générer cet oxygène, et c'est là que je voulais en venir et que se termine aussi ce billet : il fallait bien plus qu'un simple orifice magique dans un mur, il fallait ça !



C'est un appareil "économique" proposé par Limousin, un pharmacien, dont il publie le principe dans le moniteur de pharmacie page  439




Bonus. Nous français, estimons que l’oxygène a été découvert par Lavoisier en 1778 et Priestley en 1774 n'ayant pas compris la portée de sa découverte étant anglais et un gros débile. Pour tous nous mettre d'accord, sachez que les Suédois (et un peu tout le reste du monde avec eux), disent que le découvreur est Carl Wilhelm Scheele en 1872. Même les allemands sont d'accord, tout en faisant remarquer qu'il est né en Poméranie. L'histoire étant totalement injuste avec lui (sauf en Suède), j'ai choisi son portrait pour illustrer ce billet.