1873 - Les pshits avant les pshits

Jules Aristide Roger Rengade


Il y a fort fort lointain dans le temps, et fort fort longtemps dans l'espace, les premiers humains rigolaient parfois très fort en inhalant les fumées des certaines plantes qu'ils mettaient au feu. Parfois ils mourraient aussi. Mais dans tous les cas, cela fait des siècles que l'on sait que les fumées ont un effet biologique sur nous. Par contre, ce n'est que vers 1860 que la médecine française a commencé à s'intéresser sérieusement à ce type d'effets, et en particuliers aux possibilités thérapeutiques.

En 1873 le docteur Jules Aristide Roger Rengade (1841 - 1915), publie un petit livre intitulé : "la médecine pneumatique, ses applications au traitement des maladies respiratoires". 


Ce livre résume tout le savoir connu de l'époque dans ce domaine (en bon français on parle de State of Art), ce qui fait quand même 47 pages de 33 lignes en comptant les dessins et la pub. Ah oui point important et  AVERTISSEMENT : ce livre a été entièrement financé par la pharmacie Gelin, 38 rue Rochechouart à Paris, qui accessoirement vend les appareils et produits décrits dans le texte. Vous voilà prévenus. Et inutile de céder à la tentation, la dite pharmacie n'existe plus.

Alors si vous êtes prêts, on va décortiquer ce livre. Et si vous êtes suffisamment curieux pour lire ce billet jusqu'au bout, ou si vous êtes flemmard et allez voir directement la fin, vous aurez en bonus : UN LIVRE INEDIT (enfin édité deux fois), qui copie (mais est édité avant) 20 000 lieues sous les mers (sous les Flots), écrit par Jules VERN.. RENGA.. En fait par Aristide Roger, qui est en fait un pseudonyme de Jules Rengade, mais pas vraiment parce que c'est aussi son vrai nom… bon bref c'est compliqué alors allez voir ça, sera plus clair.

Mais revenons au livre (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5619572q/f33.image.r=La%20M%C3%A9decine%20pneumatique,%20ses%20applications%20au%20traitement) sur les maladies pneumologiques. La médecine (la thérapie) consistant à soigner ces maladies par des inhalations ou fumigations, est appelée à l'époque médecine pneumatique. 

Tout d'abord un point sur la physiologie. La rapidité d'action de la voie aérienne est constatée avec certitude en 1866 devant, entre autres, l'efficacité de l'inhalation du chloroforme pour anesthésier, devant l'efficacité des gaz toxiques pour intoxiquer (et tuer), et devant les preuves de plus ne plus nombreuses que certaines maladies se propagent par cette voie. Avec ces données en poche, des recherches pratiques se mettent en place (on dirait de nos jours des études) pour trouver des molécules à inhaler, et des appareils permettant l'inhalation.

Pour ce qui est des appareils, on ne part pas de rien car il existe déjà un objet ancien qui permet une forme archaïque d'inhalation : le narguilé (narghilé dans ce texte). Il existe aussi tout bêtement des cigares et cigarettes. Un des premiers appareils spécifiquement destiné à un usage médical est présenté en août 1873 à l'académie de médecine, avec un résultat enthousiasmant puisque cette démonstration est à peine citée dans les journaux médicaux de l'époque. Dans le livre plusieurs modèles sont détaillés et on les verra après.

Pour ce qui est des substances actives, c'est encore plus simple. En gros, quasiment tout se résume à… roulement de tambours…suspens insoutenable… l'acide carbonique. Si vous avez un doute, c'est bien le truc qui fait de l'eau à bulles. Il est largement utilisé comme médicament (essentiellement dans les boissons gazeuses) en France depuis 1864 - 1865.

La nouveauté des années 1870, c'est l'association des deux, c’est-à-dire l'utilisation d'un appareil d'inhalation et du gaz carbonique pour propulser de façon combinée des poussières ou des vapeurs de liquides médicamenteux. Pour le dire autrement, en 1870 on commence à comprendre que le gaz carbonique peut être utilisé comme une sorte de solvant pour administrer des molécules ayant un réel effet thérapeutique. Et là vous vous dites (c'est une image, en vrai je sais bien que vous n'êtes pas enthousiastes à ce point) : mais c'est génial, ils ont donc compris qu'on pouvait administrer des bronchodilatateurs ou des antibiotiques et tout ! En fait pas du tout. Il ne faut quand même pas oublier qu'à l'époque, les médicaments étaient subtilement plus archaïques. Les principaux 'traitements" utilisés étaient la mixture iodo-balamsqiue, l'iode et le soufre. Et comme fort curieusement ce trucs avaient une efficacité toute relative, ils étaient associés à des traitements dit "adjuvants", le tout permettant une prise en charge optimale des trois types de pathologies connues :
  1. Maladies de la gorge (angines, laryngites simples, granulomateuses, ulcéreuses, herpétiques, ainsi que de la phtisie (tuberculose), les spasmes de la glottes, l'aphonie et l'enrouement).
  2. Maladies pulmonaires catarrhales (phtisie chronique galopante, bronchite chronique, dilatation des bronches, gangrène du poumon, asthme humide (œdème du poumon) et emphysème).
  3. Maladies pulmonaires nerveuses (asthme sec, angine de poitrine, oppressions, toux nerveuse e coqueluche). 
Au passage, notons qu'à l'époque, l'angor et la coqueluche sont considérés comme des pathologies psy.

Alors pour traiter les maladies de la gorge comment faire ?

Déjà il faut les reconnaître, et pour cela les auteurs conseillent de faire appel à une technologie de pointe : le laryngoscope. Inutile de vous montrer condescendant, pour pouvoir en utiliser un et apprendre son maniement, le seul cours disponible à Paris avait lieu à l'hôpital Saint-Antoine le samedi matin. Une fois le diag posé, le traitement actif nécessitait un pulvérisateur hydropneumatique (voir l'illustration), des sels effervescents, et une mixture de substance active, dont il fallait imprégner une éponge qu'on plaçait ensuite dans le grand bocal. Pour ce type de pathologies, il était recommandé des pulvérisations iodurées (iode, eau pétillante… des embuns) quatre fois par jour, avec en bonus du soufre en cas d'herpès. Et pour consolider l'effet, il était conseillé d'adjoindre de l'hydrolat diaphonique (ne me demandez pas ce que c'est, je crois que c'est de la tisane de tilleul, mais sans certitude).

Et si votre maladie de gorge "tombait" dans les poumons ? C'était déjà plus grave car vous pouviez avoir une maladie pulmonaire catarrhale. Ça ne rigole pas, c'est dangereux (en plus c'est plutôt vrai puisque ça peut aller de la tuberculose à la dilatation des bronches ou l'OAP). Alors aux grands maux les grands moyens : il faut sortir le Gazogène inhalateur ! Et dedans il faut mettre de la mixture iodo-balsamique à inspirer deux fois par jour pendant 15 jours (pas plus que précédemment je n'ai découvert ce qu'était cette mixture, mais ça n'a pas d'importance puisque Gelin, l'éditeur du livre, en vendait pour 4 francs, soit approximativement 8 euros actuels).




Et enfin, si à force d'être malade, la maladie attaquait les nerfs, avec de l'angine de poitrine ou la coqueluche, il fallait sortir les armes de guérison massive : le fumigateur à narghilé et les cigarettes antidyspnéiques ! Attention, vu la gravité du mal, il fallait être réactif. Au moindre signe de douleur angineuse, il fallait allumer une cigarette et l'inhaler via le fumigateur. Le reste de la journée, c'est 6 à 8 cigarettes à fumigateur pendant 10 minutes. Notons ici qu'il existait une groupe de médecins factieux de l'hôtel-Dieu, qui estimait que l'effet thérapeutique de la cigarette était lié à la combustion du papier… Mais c'était des factieux.


En lisant ces trois exemples, il se peut que, tout comme l'auteur du livre, vous pensiez qu'un tel niveau d'efficacité ne devait pas être réservé aux voies aériennes. Non, parce que 15 jours de fumée de papier à cigarette et d'eau gazeuse pour soigner la tuberculose et l'angine de poitrine, c'est quand même pas mal ! En 2016 on ne sait toujours pas faire aussi bien ! Du coup, il était logique de chercher d'autres applications. Et ça tombe bien, parce que l'auteur en a trouvé plein ! Douches d'eau gazeuse dans les yeux pour les conjonctivites, douche d'eau gazeuse utérine pour les cancer du col (!), et je vous passe les oreilles.

Et comme le livre est bien fait, dans les dernières pages, vous pouvez trouver toutes le informations nécessaires pour commander ces excellents produits ainsi que pleins d'autres comme par exemple l'Elixir Gelin (le plus sûr et le plus agréable des purgatifs), ou le vin toni-nutritif à la coca du Pérou, au quinquina et au sirop d'écorces d'orange (ancêtre du coca à 3 francs soit 12 euros le litre )



Et maintenant, pour les plus persévérants, en bonus, la récompense qui va vous permettre de frimer en société
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Le livre dont je viens de vous résumer le contenu a été écrit par Jules Rengade. Sa fiche Wikipedia précise qu'il était médecin mais qu'il n'a jamais exercé (ce qui est visiblement faux). Sa fiche précise aussi qu'il était connu sous le pseudonyme d'Aristide Roger (qui sont en réalité ses deuxième et troisième prénoms) pour des articles scientifiques et des romans d'aventures. Parmi ceux-ci, il en est un qui eut plus de succès, publié en 1868, et intitulé :"Voyage sous les flots". Il est disponible sur Gallica via le lien ci-dessus. Dans ce roman, un savant taciturne et un peu fou, Trinitus, construit un sous-marin électrique (l'éclair), avec lequel il part découvrir le fonds marins en compagnie d'adolescents. Ils trouveront une île mystérieuse, un tunnel secret menant dans un volcan, un banc de cachalots qui va les attaquer, une banquise bien glacée, et enfin une île paradisiaque dans le Pacifique. Evidemment il est impossible que Jules Verne ait lu cette histoire parue sous forme de feuilleton en 1866 et c'est par un hasard extraordinaire qu'il écrit en 1866 : " Je prépare aussi notre Voyage sous les eaux, et mon frère et moi, nous arrangeons toute la mécanique nécessaire à l'expédition. Je pense que nous emploierons l'électricité, mais ce n'est pas encore décidé tout à fait". Le premier extrait de 20 000 lieues sous les mers sera publié en mars 1869, l'année ou le voyage sous les flots en est à sa deuxième édition.