1872 - L'eau antalgique

Constantin Paul



Pour les adeptes de l'homéopathie qui n'en supportent pas les effets secondaires ou qui sont diabétiques, ou encore pour ceux qui se demandent si la particule princeps noyée dans l'eau est bio et qui n'ont pas de réponse, et qui du coup angoissent, sachez qu'en 1872, Constantin Paul avait une solution scientifique. Pour les douleurs en tout cas.



Constantin Paul (1833 - 1896) n'était pas n'importe qui. Comme l'indique sa fiche BnF (c'est la partie titres) il était médecin des hôpitaux de Bicêtre, Saint-Antoine, Lariboisière, et de la Charité. - Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris. - Membre de l'académie de médecine. Là ! Ça calme !

Et pour devenir tout ça il a donné des conférences et écrit plein de livres dont certains essentiels pour l'époque comme (attention c'est la partie travaux) :
  • Rapport sur l'éclairage à l'huile de pétrole dans le VIe arrondissement de Paris (1864). 
  • Traitement des paralysies rhumatismales de la face par l'électricité (faradisation et galvanisation) (1873). 
  • Note sur l'irrigation nasale ou naso-pharyngienne et de son application au traitement des affections aiguës et chroniques des fosses nasales (1875). 
  • Le Violet de Paris, réactif des urines ictériques (1875). 
  • Les avantages du stéthoscope flexible (1876). 
  • Le bruit de souffle anémospasmodique de l'artère pulmonaire désigné généralement sous le nom de bruit anémique de la base du cœur (1878). 
  • Traitement de la bronchite chez les arthritiques (1879). 
  • Diagnostic et traitement des maladies du cœur (1887). 
  • Manuel de thérapeutique thermale clinique (1892). 
Comme vous le voyez, son champ d'activité était large, typique en tout cas des médecins de cette époque. Il allait même au-delà puisque dans sa conférence sur les stéthoscopes il précise que l'engin fonctionne sur les chevaux, les vaches, les moutons les chèvres, les chiens et les lapins… Il avait même imaginé qu'il serait possible d'isoler certains bruits dans des résonateurs pour mieux les classer.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5495388c

Il était aussi, dans une certaine mesure, économiste puisque dans son rapport sur l'éclairage à l'huile de pétrole de la commission d'hygiène du VIe arrondissement (je sais pas si vous concevez l'ambition philanthropique universaliste de ce genre de commission), il avait infligé à une assistance que l'on imagine fascinée, un comparatif économico énergétique sur les différentes sources d'huiles minérales (plus chères à New York qu'à Sainte Claire au Canada, mais moins qu'a Djebel el Zeth en Egypte…)

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6480273z

Bon je vais par tous vous les résumer parce que d'une part c'est pas non plus toujours aussi hors sujet, et parce que d'autre part j'ai pas le temps. Mais pour les très curieux de choses étranges qui pourraient figurer dans un roman Steampunk, je vous conseille de jeter un coup d'œil à son texte sur le traitement des paralysies rhumatismales de la face par l'électricité ! Vous verrez que les médecins de l'époque étaient très très joueurs et leur victi.. Patients, très très patients.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5620763x/f6.image

On en revient donc à 1872 et à une présentation de Constantin Paul sur "les véhicules des médicaments dans les injections hypodermiques" parue dans la revue thérapeutique page 41 : https://books.google.fr/books?id=vfQKAAAAYAAJ&hl=fr&pg=PA373#v=onepage&q=tache%20de%20sang&f=false

Comme le rappelle Paul, (c'est son nom dès fois que vous ne l’ayez pas compris), si la thérapeutique était une science ça se saurait (voilà, maintenant on est détendus, on sait que ça va partie en vrille). Il rappelle que comme des idiots, dès que l'on a inventé les injections hypodermiques, on a tenté d'injecter des produits actifs comme la morphine ou l'atropine, sans étudier l'effet thérapeutique de l'injection à savoir :"la piqûre, l'introduction de l'eau, sa quantité, sa température, son état de pureté, etc…". Reconnaissons qu'il a raison, comme de la même façon on a jamais étudié l'effet du plâtrage des fractures sans réduction préalable pour connaître l'effet intrinsèque du cataplasme de craie. Ce que Paul ne sait pas, c'est qu'il va décrire, sans le savoir de l'effet Placebo.

Paul commence par un résumé historique. En 1869 un certain Potain s'était semble-t-il déjà interrogé sur le fait que l'injection de Morphine en sous cutané agissait trop vite pour que l'effet observé soit celui de la molécules active (en fait il ignorait les cinétiques différentes selon les voies d'administrations). Pour mieux cerner son observation, Potain s'amusa à injecter 8 à 10 gouttes de flotte pure dans les articulations de patients arthritiques et observa que les injections calmaient la douleur (sans pour autant faciliter la mobilisation). Il fut imité par cinq autres médecins qui tous confirmèrent, après avoir essayé eux-mêmes, que… Potain avait tort. Pas découragé pour deux sous (ce qui faisait une certaine somme à l'époque), Potain mena une étude comparative en ouvert. Il compara l'efficacité antalgique dans les lumbagos des ventouses scarifiées (!) versus les injections d'eau sous cutanées. Oh surprise, malgré une douleur plus importante (!!!), les patients repartaient "en se redressant presque immédiatement et en marchant comme s'il n'avaient jamais souffert". Devant ce succès énorme (c’est-à-dire après avoir prouvé qu'une piqure détruisait moins le dos qu'une scarification) Potain devint une star inspirant un nombre croissant d'illustres inconnus qui essayèrent l'eau sur les paralysies palpébrales, la SEP (de l'époque, dont a posteriori il semble qu'il se soit agi d'un AVC), les colique hépatiques, les névralgies intercostales, les pneumonies, les affection organiques du cœur et même un ulcère de l’estomac !

Face à cette accumulation de preuves indiscutables, et avant de laisser l'enthousiasme général dégénérer en une liesse incontrôlable pouvant mener à l'injection d'eau dans les nuages pour faire pleuvoir les années de sécheresse, Paul reprend l'evidence based medecine avec les données issues d'une thèse reposant sur l'observation d'un échantillon de …Trois patients. Il constate que l'injection sous cutanée d'un gramme d'eau distillée (ou pas) provoque une douleur passagère avec une action antalgique ultérieure très prompte mais dont l'effet ne dure pas. Il précise aussi que l'injection ne doit pas être trop profonde puisque visiblement il a vu des cas d'ulcérations "semblables à de chancres mous" apparaître en cas d'erreur. Enfin il précise qu'au-delà d'un gramme les injections peuvent non seulement provoquer une inflammation locale, mais également de la gangrène.

Si la naïveté de Constantin Paul vous interpelle à une époque où on avait déjà découvert les anesthésiques, sachez que sa démarche était ultra scientifique selon les normes de l'époque. Analyser chaque élément d'un traitement y compris les moyens matériels était une réaction à l'empirisme qui régnait dans les facs de médecine.

Le problème de cette recherche scientifique du XIXe c'est qu'à partir des années 1970, dans un mouvement de "retour aux sources" ces traitements sont progressivement revenus à la mode avec l'intervention de médecins, infirmiers, sage-femme et autres thérapeutes en mal d'authenticité. N'ayant lu que ces données, et ignorant volontairement celles, ultérieures, qui montraient que si l'idée était intéressante les conclusions étaient absurdes, ce courant a permis le maintien jusqu'à aujourd'hui de thérapies dangereuses. Quand j'étais interne, on proposait encore dans certain centres de faire des injections d'eau pure en SC ou en IV dans les céphalées post PL ou dans les algodystrophies. C'était idiot, ceux qui les pratiquaient trouvaient ça idiot et les patients avaient encore plus mal et avaient l'impression d'être Josiane Balasko dans les Bronzés font du ski quand elle reçoit des coups de bâton sur la tête pour lui faire oublier la douleur de son pied serré dans une chaussure.

Et si vous imaginez que ces pratiques ont complètement disparues sachez qu'en 2014, une de mes patientes ayant une S.E.P. s'est vu proposer des injections sous cutanée d'eau pour préparation injectable par une sage-femme qui par ailleurs était ouvertement contre les péridurales. La sage-femme a été très surprise quand je l'ai informé que ce traitement n'était pas validé et qu'il était dangereux, elle a été encore plus surprise quand, voulant me montrer que j'avais tort, son assureur professionnel l'a informé que si elle recommençait il rompait son contrat.

Oui je sais la fin de ce billet est moins drôle que le début avec ce petit côté moralisateur puérile, mais parfois il est important de laisser la médecine du XIXe au XIXe.